Dates et chiffres clés

1871 : l’Alsace et une partie de la Lorraine (future Moselle) sont cédées par la France à l’Allemagne par le traité de Francfort.

25 juin 1912 : à l’unanimité, le Landtag du Reichsland Elsass-Lothringen adopte le Rot un Wiss (rouge et blanc) qui, assorti d’une croix de Lorraine, devient le drapeau officiel de l’Alsace-Lorraine. Sans dimension partisane, il incarne l’âme du peuple.

1er août 1914 : mobilisation de l’Allemagne, donc de l’Alsace-Moselle/Elsass-Lothringen.

87 % de la population est germanophone en 1914.

380 000 Feldgrauen alsaciens-mosellans sont mobilisés au total durant la guerre 1914-1918.

20 000 Alsaciens-Mosellans ont combattu dans l’armée française parmi lesquels des expatriés d’avant 1914, d’authentiques déserteurs et des prisonniers de guerre enrôlés dans les camps français.

50 000 Alsaciens-Mosellans ont été tués sous l’uniforme feldgrau durant la Première Guerre mondiale.

29 000 Alsaciens-Mosellans ont été blessés.

Lexique

Alsace-Lorraine. Cette expression est la traduction littérale d’Elsass-Lothringen qu’utilisèrent les autorités allemandes pour désigner le Reichsland nouvellement crée. Constitué de l’actuelle Alsace et de l’actuelle Moselle, cette traduction inappropriée est à l’origine, en France, d’une confusion tenace en ce qu’elle donne à croire que le Reichsland incluait alors toute l’actuelle Lorraine ! Celle-ci était constituée des départements de la Meurthe, de la Meuse, de la Moselle et des Vosges. En application du traité de Francfort du 10 mai 1871, la cession territoriale a porté sur l’actuelle Moselle et une partie de la Meurthe. C’est en souvenir de cette perte territoriale que le département de la Meurthe a été rebaptisée Meurthe-et-Moselle. Au lendemain de la guerre de 1918, la France n’a pas rétabli le département de la Meurthe dans sa configuration d’origine, ce qui explique la forme actuelle inédite de l’actuelle Meurthe-et-Moselle. Pour ne pas entretenir cette croyance, Unsri Gschicht prend le parti de traduire Elsass-Lothringen par Alsace-Moselle.

Der gute Kamerad. Le bon camarade. Composée en 1809 à Tübingen par le poète romantique Ludwig Uhland, cette complainte – aussi appelée Ich hatt’ einen Kameraden – devient un chant militaire lorsqu’il est mis en musique en 1825 par le compositeur allemand Friedrich Silcher. Loin de véhiculer un quelconque message belliqueux, elle exprime la douleur de perdre au combat un bon camarade. Voir les paroles et la vidéo réalisée par Unsri Gschicht (n’oubliez pas de mettre le son !).

Feldgrauen. Littéralement gris-champs, c’est le surnom des soldats allemands de la Première Guerre mondiale, en référence à la couleur de leur uniforme. Dans la dénomination des couleurs, le Feldgrau allemand correspond au vert-de-gris français ; d’où l’expression française. Les soldats alsaciens et mosellans de 1914-1918 étaient donc, dans leur immense majorité, des Feldgrauen.

Germanisation. Pour Le Robert, ce mot désigne le fait de « rendre germain, allemand ». On n’en saura pas plus. En Alsace, la connotation négative que lui attribuent généralement la littérature – y compris universitaire – et les médias pour dénoncer une prétendue politique d’assimilation est un non-sens : comment « germaniser » un territoire qui appartient à l’espace linguistique germanophone depuis le VIIIe siècle ? Au moment de son retour à l’Allemagne en 1871, seules les classes supérieures – notamment la bourgeoisie industrielle et commerçante – maîtrisent également le français ; 84 % de la population, uniquement germanophone, ne le parlent pas.

Francisation des prénoms. Au lendemain du traité de Versailles de 1919, la langue française est imposée dans les actes et documents officiels en Alsace. Dès lors, lorsque seront inscrits sur les monuments aux morts, les FranzPeterKarl et autres Josef, tous nés et morts allemands, seront, à de rares exceptions près, nommés FrançoisPierreCharles et Joseph… Il s’agit là d’une violation des histoires individuelles, doublée d’une étonnante atteinte à la vérité historique. Une seconde mort, en quelque sorte – mémorielle, celle-là – infligée par les autorités françaises et toujours en vigeur.

Libération (de l’Alsace-Moselle). Selon le Larousse, ce mot désigne une « action mettant fin à la sujétion qui atteint un groupe, un peuple ». Or, l’entrée des troupes françaises en Alsace et en Moselle en novembre 1918 ne peut être qualifiée de libération. Le terme « Libération » – avec une majuscule – ne convient que pour désigner la reconquête par les Alliés, en 1944 et 1945, de territoires soumis jusqu’alors au contrôle de l’Allemagne nazie, Alsace comprise.

Malgré-nous. En 1914, comme tous les citoyens allemands, les Alsaciens-Lorrains furent incorporés dans la plus stricte légalité, sans états d’âme patriotiques : ils n’étaient pas des « Malgré-nous » ! Si, dès l’entre-deux-guerres, d’anciens combattants francophiles mosellans inventèrent l’expression « Malgré-nous », ils ne parvinrent cependant pas à la populariser, puisqu’elle ne correspondait pas au vécu de la plupart des anciens Feldgrauen. L’expression « Malgré-nous » désigne aujourd’hui uniquement les Alsaciens et Mosellans incorporés par le IIIe Reich à partir de 1942. Plutôt que l’expression incorporés de force souvent utilisée – un Etat n’offrant jamais d’option à ses ressortissants qu’il incorpore – il serait plus juste de qualifier les Malgré-nous d’incorporés illégaux puisque l’annexion étant de fait, les Alsaciens et les Mosellans ont, durant toute la Seconde Guerre mondiale, conservé leur nationalité française. Une incorporation donc illégale, au regard du droit international.

Poilu. L’expression désigne les soldats français de la Première Guerre mondiale. En 2014-2018, la commémoration du centenaire de la Grande Guerre a donné lieu à de nombreuses animations publiques et scolaires tendant à assimiler les Feldgrauen alsaciens-lorrains… aux poilus ! Ainsi, malgré l’absence de soldats morts pour la France dans la plupart des communes en Alsace et en Moselle, des lettres de poilus sont lues devant les monuments aux morts. Ces rituels, légitimes en vieille France, constituent en Alsace et en Moselle une déformation intellectuellement honteuse de la réalité historique.

Reichsland. Signifiant « Pays d’Empire », ce terme désigne l’Etat d’Alsace-Lorraine au sein de l’Empire allemand. Le Reichsland Elsass-Lothringen, propriété commune des autres Etats allemands, est placé directement sous l’autorité de l’Empereur, représenté sur place par un gouverneur, le Statthalter, qui réside à Strasbourg. Ce statut tout à fait particulier n’empêche cependant pas l’Alsace-Lorraine de posséder une assemblée régionale à partir de 1874 (Landesausschuss), remplacée par un véritable parlement (Landtag) à partir de 1911.

Rot un Wiss. Contrairement à une idée reçue, le drapeau Rot un Wiss (rouge et blanc) n’appartient à aucun parti politique. Puisant ses racines dans l’héraldique médiévale, il est devenu le drapeau du peuple alsacien à la fin du XIXe siècle. Il fut adopté à l’unanimité par la chambre basse du parlement du Reichsland le 25 juin 1912 pour constituer, assorti d’une croix de Lorraine, le drapeau officiel de l’Alsace-Lorraine.

Données historiques

Plus d’un siècle nous sépare désormais de la Première Guerre mondiale. En Alsace-Moselle, les bouleversements politiques mais aussi linguistiques intervenus depuis 1918 brouillent notre compréhension des épreuves traversées par nos ancêtres combattants et leurs familles.

C’est pourquoi, pour ne pas travestir leurs vécus, il convient de rappeler certains faits historiques :

En 1914, l’Alsace-Moselle, appelée alors Alsace-Lorraine, était allemande depuis sa cession par la France en 1871. La région avait le statut de Reichsland. Administrée par un gouverneur représentant l’empereur d’Allemagne, elle disposait depuis 1874 d’une assemblée régionale, qui exerça très tôt une partie du pouvoir législatif. Cette assemblée de notables, élue au suffrage indirect, fut remplacée en 1911 par un véritable parlement régional, dont la chambre basse était élue au suffrage universel. Ce changement résultait d’une constitution donnée à l’Alsace-Lorraine par l’empereur Guillaume II, conférant à la région une large autonomie. Le drapeau rouge et blanc (Rot un Wiss) popularisé en Alsace à la fin du XIXe siècle fut adopté, garni d’une croix de Lorraine, comme drapeau du Reichsland ; l’empereur refusa cependant sa reconnaissance officielle. Une vie politique démocratique se développa malgré les manœuvres des militaires contre le pouvoir civil : la célèbre affaire de Saverne (1913) posait en réalité un problème politique, pas national. La population du Reichsland était essentiellement constituée d’autochtones alsaciens et lorrains et d’Allemands du reste de l’empire arrivés depuis 1871, appelés Vieux-Allemands (Alt-Deutsche). Ces derniers étaient surtout présents dans les villes, où les mariages les unissant à des autochtones étaient légion. On est loin des caricatures de Hansi présentant deux peuples se regardant en chiens de faïence !

Sur le plan linguistique, l’Alsace-Lorraine de 1914 était germanophone à 87%. On parlait surtout les dialectes alémanique ou francique, à l’instar de nos voisins badois, palatins ou sarrois. On lisait et on priait en allemand standard (Hochdeutsch), ce qui était déjà le cas dans l’Alsace française d’avant 1871. Les francophones vivaient surtout en Lorraine, ainsi que dans des vallées alsaciennes et quelques communes du Sundgau. Des liens avec la France existaient, dans la bourgeoisie ou dans des familles pourvoyeuses de bonnes mais dans sa grande majorité, la population ne se sentait pas française en 1914.

Dans ce contexte, la mobilisation annoncée le 1er août 1914 s’effectua sans surplus dramatique s’ajoutant à la crainte universelle de la mort. Les hommes mobilisés avaient fait leur service militaire de deux ans dans l’armée allemande, après lequel ils avaient été régulièrement sollicités par l’armée dans le cadre de la réserve. Les photographies de l’époque, notamment celles prises dans le cadre privé ou lors de moments de détente, ne laissent aucun doute sur le consentement des Alsaciens-Lorrains à servir leur patrie, l’Allemagne. Ces soldats combattirent partout, notamment sur les deux fronts principaux, à l’Ouest contre la France et à l’Est contre la Russie.

A partir de 1915, l’armée donnait pour consigne de transférer les Alsaciens-Lorrains sur le front de l’Est, mais ce versement vers l’Est n’a jamais été généralisé. En 1914, le nombre d’appelés alsaciens-lorrains était de 220 000. Au total, 380 000 ressortissants du Reichsland serviront sous l’uniforme feldgrau pendant la Première Guerre mondiale.

On compte, en 1918, 50 000 tués et 29 000 prisonniers dans le Reichsland. On dénombre peu de déserteurs dans les rangs alsaciens : 20 sur 6 000 Alsaciens-Lorrains engagés dans la bataille de Verdun. Les soldats alsaciens-lorrains combattant dans l’armée française représentaient une petite minorité de 20 000 individus, aux parcours divers (expatriés d’avant 1914, authentiques déserteurs, prisonniers de guerre enrôlés dans les camps français) : les familles tiraillées, avec un fils Feldgrau et un autre Poilu, représentaient donc des cas exceptionnels.

Quant aux civils, les Alsaciens-Lorrains connaissaient les mêmes problèmes que leurs compatriotes allemands victimes du blocus, avec d’autres qui s’ajoutaient du fait de la proximité du front. Malgré les pénuries, ils participaient à l’effort de guerre. Ils souffraient cependant de la suspicion des autorités militaires, qui exerçaient un strict contrôle sur la région.

On parle souvent de « dictature militaire » allemande, mais il convient dans ce cas de parler aussi de dictature militaire française, que cela soit pour les territoires occupés à partir de l’été 1914, avec la déportation et l’internement de milliers de civils des régions de Thann et Dannemarie, ou pour la prise en main de la région en novembre 1918 et l’épuration ethnique et politique menée avant sa cession officielle à la France par le traité de Versailles le 28 juin 1919.

On comprend que le « retour » à la France ne fut en rien une « libération » au sens politique du terme. La population civile qui accompagnait les défilés de l’armée française fin novembre 1918 fêtait la fin de la guerre et de la pénurie, tandis que les soldats en attente de démobilisation étaient tenus à l’écart. Les Alsaciens-Lorrains déchanteront bientôt de la perte de leur autonomie.